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Le syndicat A.D.N.
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2 février 2012

Recherche Précarisée, recherche atomisée par le collectif P.E.C.R.E.S. : Regards de l’ADN (1)

Recherche Précarisée, recherche atomisée par le collectif P.E.C.R.E.S. : Regards de l’ADN

C’est avec attention et intérêt que l’ADN a découvert l’ouvrage publié par le collectif de chercheurs PECRES (Pour l’Etude des Conditions de travail dans la Recherche et l’Enseignement Supérieur) dont l’acronyme évocateur ne lui a pas échappé[1]. Cet ouvrage présente les résultats d’une recherche menée à la demande d’une intersyndicale. Les auteurs adoptent une posture résolument critique, non seulement en raison de la méthode qu’elle utilise et qui vise à mettre à jour les facteurs qui participent à la dégradation des conditions d’emploi et de travail au sein de l’E.S.R, mais également par sa dénonciation des méfaits des politiques qui y sont commis depuis plusieurs années.

La dénonciation par les auteurs est globale et concerne toutes les formes de la précarisation, qui recouvre de ce point de vue plusieurs réalités différentes.

Tout d’abord, les auteurs de Recherche précarisée, recherche atomisée relèvent l’augmentation du nombre de précaires dans l’ESR, à la fois en valeur absolue et relativement, au sein de l’ensemble des personnes travaillant dans ce secteur. Selon les auteurs, 25 % de travailleurs employés par les Universités et les établissements de recherche seraient des précaires[2], proportion qui ne cesserait de croître : au sein du CNRS, le nombre de personnels « non permanents » a augmenté de 13.3 % entre 2006 et 2009. Au sein des universités, en raison de l’absence d’établissement de bilans sociaux uniformes, le décompte des travailleurs précaires se révèle être « une gageure ». En tant que syndicat, nous avons pu le constater : le bilan social de l’université de Nanterre indique une diminution d’enseignants contractuels qui seraient 449, au lieu de 470 les années précédentes. Cependant, ce nombre, qui correspond déjà à 32 % du total des enseignants de cette université, ne semble pas prendre en compte les enseignants vacataires. En effet, il apparaît que ces derniers, qui en 2009 effectuaient déjà soixante-six mille heures d’enseignement, en assurent aujourd’hui plus de quatre-vingt-un mille. Ainsi, on constate qu’il existe des vases communicants. Cela confirme que « la statistique institutionnelle ne recense que les personnels en CDD, ce qui exclut du même coup une grande part des précaires plus précaires encore, qui ne bénéficient pas d’un tel cadre juridique, parce que payés à la tâches ou à l’heure sans couverture sociale, ou dont le travail de recherche est financé par leurs indemnités chômage, ou qui sont rémunérés selon des procédures illégales, voire qui travaillent gratuitement pour les universités et les laboratoires » (p. 22). En réalité, une des raisons qui rend compte de cette difficulté à mesurer la précarité dans le secteur de l’ESR tient à l’absence de critères qui permettent de définir ce qu’est un emploi dans ce secteur et, par suite, de savoir quelles sont les personnes qui occupent un emploi à titre précaire. A cet égard, le mérite de l’ouvrage tient davantage à la manière de définir l’emploi dans l’ESR que de déterminer la partie précarisée. Ainsi, les doctorants, financés ou non, se réjouissent d’y lire qu’ils sont des travailleurs de l’ESR et non, comme certains se plaisent encore à le croire, qu’ils ne sont que des étudiants (cf. tableau p. 15).

Ensuite, la précarisation de l’ESR signifie une « redéfinition de la norme de l’emploi scientifique », de par son recours plus systématique à de la main d’œuvre précaire : « la précarité apparaît ainsi comme un élément constitutif de l’université française dans le long terme, fonctionnant comme une variable d’ajustement à la fois pour la gestion des carrières et en réponse aux évolutions des missions professionnelles et des effectifs étudiants » (p. 27). Mais les auteurs relèvent que, depuis quelques décennies, il ne s’agit plus seulement d’une question d’ajustement. En effet, la notion de précarisation « ne témoigne pas seulement d’un effet croissant de précaires et d’un renouement avec des formes antédiluviennes de travail, elle dit aussi une systématisation et une normalisation pour le futur » (p. 33). L’augmentation des précaires serait donc révélateur : la mise au jour de la part importante des emplois occupés par des personnels précaires amène à douter du fait que leurs contrats n’aient « ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente » de ces établissements. L’idée que l’Etat et ses administrations sont de piètres employeurs, qui n’appliquent pas à eux-mêmes les principes qu’ils imposent aux autres employeurs, n’est pas neuve : le droit du travail applicable aux agents publics contractuels est en effet bien moins protecteur que celui applicable aux salariés de droit privé. Mais, à cela s’ajoute l’appauvrissement structurel du budget alloué à la recherche et à l’enseignement supérieur qui conduit à recourir à une main d’œuvre précaire et aussi moins coûteuse. Et l’afflux de moyens sporadiques finançant une recherche sur projet, c’est-à-dire à court terme, conduit nécessairement à un recrutement de personnels précaires, c’est-à-dire un recrutement (limité) pour un temps et une mission donnés …. Ce mode de recrutement se justifierait par la mise en place de projets de recherche prédéterminés, voire calibrés, que ce soit en termes de moyens financiers ou en termes d’objectifs à atteindre dans un temps donné. Une fois réalisé, le projet est évalué selon des critères quantitatifs, évaluation qui sera la condition de la poursuite du projet de recherche. Il s’agit en réalité d’appliquer à l’université la stratégie entrepreneuriale fondée sur un calcul d’efficience, c'est-à-dire sur une logique à court terme de coût/investissement/résultat. Autrement dit, la précarité dans l’ESR est indissociable de l’émergence d’une rationalité néolibérale à l’université, au sens où l’entendent les auteurs de la Nouvelle école capitaliste[3].

« De l’excellence à l’intermittence », il n’y a donc qu’un pas ! On peut afficher ouvertement ce but de faire des économies budgétaires ; On crie haut et fort que l’on ne prétend pas affecter la qualité de l’ESR. En revanche, il est devenu vulgaire d’évoquer des conditions d’emploi et de travail. Or précisément, le collectif P.E.C.R.E.S. montre le lien qui existe entre le discours de l’efficience et ses conséquences inéluctables qu’il produit pour les travailleurs de l’ESR. Les témoignages que les auteurs ont recueillis illustrent le propos : ils permettent au lecteur de s’identifier avec tristesse et font naître un certain désespoir face aux perspectives qui se dessinent.

Ainsi, la précarité au sein du secteur de l’ESR, loin d’être circonstancielle, est structurelle. Comme le relève les auteurs, « il n’est évidemment pas question de voir  les effectifs des personnels de l’ESR baisser : on a besoin d’eux pour faire tourner la boutique. En revanche,  on peut modifier leur « nature », faire en sorte qu’ils soient moins coûteux  et plus soumis, tout en prétendant qu’ils seront aussi, du même coup, plus performants » (p. 34). Autrement dit, si officiellement le discours est celui de l’excellence de la recherche, le développent de la recherche sur projet a nécessairement pour conséquence d’augmenter le nombre de contractuels. Au demeurant, on sera d’accord avec les auteurs pour dire que le projet politique mis en œuvre aujourd’hui est en réalité antithétique avec une recherche de l’excellence : le temps de la contractualisation ne peut être celui de la recherche (cf. p. 114). Les finalités assignées à l’ESR sont bien affectées par la précarisation des enseignants-chercheurs, non pas que les précaires fassent un travail de moindre qualité mais parce qu’à la courte durée des contrats s’ajoutent d’une part la nécessité d’obtenir plusieurs de ces contrats pour subvenir à ses besoins, parfois sur des établissement différents et d’autre part l’impossibilité parfois de mener à bien un projet de recherche du fait de la fin de son contrat, etc., tout cela nuisant objectivement à la qualité du travail de recherche et aux publications qui en rendent compte (cf. p. 118 s).

Enfin, l’ouvrage relève une autre dimension de la précarisation dans l’ESR. Il s’agit de la violence subie par le précaire et de la souffrance qu’elle génère. Les auteurs recensent ainsi les pratiques et les vexations qui renforcent la précarité et le sentiment d’invisibilité : effectuer des heures complémentaires gratuitement, être payé en livres (bien que ceux-ci ne se mangent pas), devoir avancer ses billets de train pour participer à un colloque ou pour effectuer des enquêtes, sans être d’ailleurs sûr d’être remboursé, se rendre utile en encadrant des étudiants, en surveillant des bibliothèques, etc. … le tout pour « une ligne sur le CV ». Ces heures de travail gratuit permettent aux laboratoires de fonctionner et aux enseignements d’être dispensés. Seulement, elles accentuent l’invisibilité du travailleur et celle de sa précarité. Les statutaires ne la voient pas ou refusent de la voir lorsqu’ils sont le supérieur hiérarchique ou bien le directeur de thèse : « manque d’empathie » ou de « vigilance », ignorance des myriades de statuts précaires, « non prise en compte des contraintes matérielles de leurs interlocuteurs », mutation permanente des règles applicables aux précaires, pillage intellectuel, harcèlement, etc. « Toutes sortes d’actes et de discours oublieux de la réalité sont commis qui, s’ils ne sont pas prémédités pour faire mal, font mal effectivement, ne serait-ce que par ce qu’ils réitèrent la coupure entre statutaires et sans statut » (p. 85). L’existence de plus précaire que soi conduit à une intériorisation - et donc à une acceptation de la violence subie - de sa précarité. En effet, la sédimentation de la précarité dans l’ESR a aussi pour conséquence de créer des degrés de précarité : les femmes et les enseignants-chercheurs en sciences sociales sont davantage précarisés. De plus, la myriade des statuts conduit à ce que les précaires soient plus ou moins intégrés dans les équipes d’enseignement et de recherche. L’ATER le sera davantage que le vacataire pour ne prendre qu’un exemple. Par ailleurs, les auteurs soulignent la situation particulière des thésards dont le statut de précaire leur est souvent dénié. Pourtant : « Les doctorant.e.s doivent être pris.e.s en compte comme les autres précaires parce qu’ils et elles constituent une véritable main d’œuvre de l’enseignement supérieur, et que désormais la période incontournable de l’apprentissage n’est souvent plus provisoire, mais la première étape d’une carrière précaire » (cf. p. 77). Espérons qu’ils soient entendus ! Malheureusement, personne ne semble vraiment choqué par l’idée que l’on puisse dire des uns qu’ils sont agents contractuels et des autres qu’ils sont étudiants, alors que tous effectuent le même travail.

 « Face à ce désarroi que faire ? ». Trois mesures : l’application d’un droit du travail plus protecteur, l’affirmation d’un principe d’égalité de traitement, la mise en place d’un plan de titularisation. Les personnes qui ont participé à l’enquête faite par les membres du collectif PECRES estiment que « le succès de leur mobilisation en voie d’expansion dépend pour partie de la solidarité que les titulaires lui accorderont ». Eux-mêmes considèrent que « face à cette sollicitation, les statutaires peuvent être tenté.e.s de s’accommoder d’une réalité qu’ils estiment peu perturbante pour eux […] ou soutenir la lutte des précaires ». Le faire « c’est donc soutenir le principe d’égalité de traitement des personnels de l’ESR, et c’est contrer une dévalorisation globale du travail scientifique qui conduirait à une détérioration des conditions de travail de tout.e.s et à un recul de l’autonomie scientifique » (p. 138). Devant cet appel salutaire, nous demeurons pourtant sceptiques. Les actes de solidarité, bien qu’il en eût existé, demeurent peu nombreux. Et si le soutien des statutaires peut être souhaitable, il ne peut en aucun cas se substituer à une organisation collective des précaires eux-mêmes. Car, et cela est sans doute un des seuls aspects qui n’est pas développé dans l’ouvrage, l’invisibilité des précaires se traduit aussi par l’absence de représentation au sein des conseils décisionnels des universités et au sein des organisations syndicales. Nous espérons que cela puisse changer : le fait que ce livre ait pu voir le jour grâce au soutien des grandes organisations syndicales est encourageant. Cependant, les organisations syndicales de l’ESR sont généralement des organisations créées et dirigées par des fonctionnaires. De ce fait, elles ont pour principale revendication la titularisation des précaires, ce que nul ne saurait refuser. Mais il est rare que les syndicats se battent, sur les lieux de travail, pour une amélioration des conditions de travail, contre le travail gratuit et les abus de pouvoir. Là encore, il ne s’agit pas de dénoncer une malignité ; il s’agit plus certainement de constater une ignorance conduisant à une indifférence – et inversement. S’agissant du cas particulier des doctorants, il n’est pas rare en revanche d’entendre, non sans un certain paternalisme, que les doctorants sont des étudiants, oubliant un peu vite qu’ils sont des enseignants-chercheurs ! Le syndicat ADN s’est créé contre cette indifférence. Au départ en effet, ce n’était rien qu’une vexation de plus contre les précaires mais l’absence de représentation de leurs intérêts fut criante : il a été décidé, et sans qu’aucun représentant des personnels au CA s’en offusque, que les seuls agents de l’université à ne pas bénéficier de l’avantage pécuniaire consistant à être exonéré des frais d’inscription étaient ceux inscrits en doctorat. Maintenant que nous, le syndicat ADN, existons, la présidente refuse de considérer que nous sommes un syndicat professionnel car, selon elle, nous ne sommes que des étudiants et va jusqu’à refuser désormais de nous répondre ! Autrement dit, la "lutte pour la reconnaissance"[4], si elle doit avoir lieu au niveau individuel, doit aussi se mener au niveau collectif ! Or, dans cette période d’élections professionnelles, force est de constater, que la communauté universitaire est loin d’être acquise à l’idée que les enseignants chercheurs précaires peuvent légitimement siéger au sein des conseils centraux institués au sein des universités, c’est-à-dire qu’ils peuvent participer, à l’égal des titulaires, à l’organisation et au fonctionnement de l’ESR.

Du silence à la parole[5] : l’histoire du droit du travail reste encore à écrire à l’Université.



[1] Publié à Raison d’Agir, 2011.

[2] Réagissant à l’étude menée par le collectif PECRES qui avançait le chiffre de 45 à 50000 personnes employées de manière précaire, le ministère considère pour sa part qu’il n’y a que 37000 personnes.

[3] C. Laval, F. Vergne, P. Clément, G. Dreux, La nouvelle école capitaliste, La découverte, 2011.

[4] A. Honneth, La Lutte pour la reconnaissance, Cerf, 2000.

[5] Jacques Le Goff, Du silence à la parole. Une histoire du droit du travail, PUR, 2004.

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